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Rencontre
Nonchalant, le pas lent du chaland se heurte à la rocaille. Putain de chemin de débris.
Il chancelle, épris de souvenirs, il est ivre-mort; les bris de son destin lui livrent un triste spectacle.

Sort funeste que ces corps démembrés, empalés, suppliciés. Certains portent la chair d’une semaine pluvieuse, au premier rang; d’autres n’ont que les os. Parfois un lambeau incertain couvre ou découvre cendres et poudres, au gré du vent.
L’écriteau est formel: il s’agirait d’une propriété privée.

« Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre » La voix est passée par dessus son épaule, pour percuter simplement son oreille, glacer un sang alcoolisé.
La surprise l’abat. Comme enlisé, impossible fuite que la boisson frelatée a, pris au piège. Tétanisé.

Raidi, il attendait, me dira-t-il quelque instants plus tard, cette mort inévitable à présent improbable. Se faire bruler vif, saler et sécher dans le fumoir en tôle de ces messieurs dames. Il avait réfléchi promptement.

« Mais prier Dieu ? » un pis-aller qu’aurait brisé le charme désuet des cadavres impatients, affamés de douleur, la machoire ouverte -brisée ?- en d’incroyables disproportions.

Enfin il se retourne. Un sourire l’émerveille. Voilà trois jours, que je n’ai pas mangé. Et l’autre béta , béat, semble a l’oeil repu et fort… appÈtissant. Je me vois lui parler et déjà déglutissant la mémoire de cet être -imprudent impudent- qui vient vomir ici la rançon de ses malheurs noyés…

-Dix-huit. Que je suis parti. Jours bien sûr et hier, quelle cuite !
– Bonne route en Est ?
– je viens du nord gelé.

Nous nous tournons vers la barrière qui tranche le chemin; frontière absconse au milieu du néant, petite plaie décorée du sang de ceux qui ont trépassé -trespassors will be shot, survivors …again-

Il regarde, pensif un oisillon oisif, posé sur un visage: son repas décomposé Il s’avise que le plumeau chie sur la charogne qui le nourrit. Les yeux partis, que reste-t-il à béqueter ?

-et lui ?
– quoi ?
– le bestiaux … il est pas gros, mais on pourrait le bouffer tous les deux. Il me jette un regard, hagard ondule sur ses pattes.
«a sera toujours mieux que se bouffer entre nous, pas vrai ?

Il ouvre sa besace de peau, et sort patiemment une cordelette râpeuse et emmêlée.

Le sifflement de l’air fait s’envoler l’oiseau et, frÈmissant, j’entends gargouiller la gorge du comparse. Quelques convulsions et nous sommes semblables. Transe extatique pour cadavre incarnÈ. Mon arme a fait le geste seul. Mon bras ?
Comme propulsé… et le sang chaud des terres froides s’écoule.

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